L'agriculture n'était pas le seul secteur d'activité dans le village. L'artisanat occupait également une place assez importante.
Il y avait au village des maçons (Saned gouda) qui travaillaient avec des outils rudimentaires : ils se servaient de pelles, de marteaux, de pioches, de truelles, d'un mètre et de ficelles. Les maçons fabriquaient eux-mêmes leurs matériaux. Ainsi, dans la construction d'une maison, pour remplacer le ciment inexistant, ils ramassaient des pierres de toutes sortes dans la montagne et les mettaient dans un fourneau d'environ 20 m³. Les pierres étaient chauffées jusqu'à ce qu'elles blanchissent. Ensuite, ils versaient de l'eau sur le brasier, et les pierres fondaient pour donner une sorte de ciment blanc (Kilcha). Avec ce dernier et les pierres récupérées dans la montagne, les maçons construisaient les murs en utilisant la ficelle pour ajuster le niveau. Quant au plafond, il était fabriqué avec des troncs d'arbres. Des branches étaient utilisées pour faire les joints et boucher les trous. Ensuite, ils utilisaient de grands feuillages pour faire une couche sur le bois. Ces derniers étaient ensuite recouverts de terre qu'ils tassaient au moyen d'une roue, pour éviter les fuites en cas de pluie et de neige.
L'existence des menuisiers était réelle, bien que très peu nombreux. Leur travail consistait à fabriquer des chaises, des portes, des cannes, des berceaux, des volets et enfin tous les ustensiles de cuisine tels que la cuillère, l'assiette, le récipient...
La fabrication du tissu et sa confection étaient des métiers assez développés au village. Mais les tissus nécessitaient de la laine et pour cela, on tondait les moutons. En effet, une fois par an, vers le mois de juillet, les villageois procédaient à la tonte de leur troupeau. La laine récupérée était lavée puis coiffée à l'aide d'un peigne (Qichta) fabriqué spécialement pour cette activité. Ensuite, les femmes transformaient la laine en fil utilisé pour les différents travaux de tissage. Le matériel du tisserand du village était bâti d'un simple cadre de deux montants verticaux (en bois) qui maintenaient horizontales les deux ensoupées de chaîne. Les fils de chaîne étaient séparés par moitiés paire et impaire, à l'aide d'une lame unique et d'un bâton de croisure. Le fil de trame passait entre les fils de chaîne par l'intermédiaire d'un bâton qui servait de navette. Le coup de trame était serré avec un peigne à main. Une fois le travail du tisserand terminé, sa production servait dans la vie courante des villageois mais aussi à la fabrication des costumes traditionnels (Challé) qui étaient vendus aux Kurdes lorsqu'ils n'étaient pas pris de force. Ne possédant aucun fil de couleur, les villageois les fabriquaient eux-mêmes. Ainsi, pour obtenir du marron, on faisait bouillir des écorces de noix. Le rouge, le vert et le bleu étaient obtenus à l'aide de produits importés par des marchands nomades.
La laine était filée par les femmes et les jeunes filles. Toutes les belles laines pouvaient être filées, mais la plus facile à travailler était celle du mouton, ses brins étant plus longs que ceux de la laine de brebis. La laine était d'abord désensimée, puis lavée à plusieurs reprises avant d'être laissée sécher au soleil. Le cordage s'effectuait au moyen d'une brosse ou à la main afin de ne pas casser les brins. La fileuse éliminait la laine des pattes et de la queue et choisissait les longs brins. Après avoir enlevé toutes les impuretés qui s'y trouvaient, elle étirait les petits tampons rencontrés. Elle formait ainsi un long ruban transparent, large d'un centimètre, qui s'enroulait sur lui-même comme un cordage. La laine était prête à être filée. Parfois, le ruban se cassait, la fileuse faisait alors un raccord en plaçant les extrémités de la laine l'une sur l'autre. Afin de donner plus de solidité à ce raccord, elle roulait doucement le ruban sur ses genoux avec la paume de la main ou ses doigts et lui donnait une légère torsion qui permettait d'éviter de nouvelles cassures. Ensuite, elle se servait d'un fuseau (Qoucha) fabriqué par les artisans du village. Ce fuseau était léger et long de cinq à six pouces, renflé au milieu et se terminait en pointe à chaque extrémité. Le fuseau servait à embobiner le fil. La fileuse nouait au milieu du fuseau le ruban. La main gauche tenait la laine, la droite lançait le fuseau, serré à son extrémité entre le pouce et l'index : la fileuse lui imprimait un mouvement de rotation de gauche à droite, comme une toupie. Lorsqu'elle avait obtenu une longueur d'environ un mètre de laine filée, elle l'enlevait de l'encoche et l'enroulait autour de la partie centrale du fuseau tout en la maintenant bien tendue. Puis, une fois que le fuseau supportait cinquante à cent grammes de laine, elle la mettait en pelote et recommençait l'ensemble des opérations.
La description des principaux métiers exercés au village montre que tout reposait autour de l'agriculture. En effet, dans ce village isolé géographiquement dans la montagne et coupé du modernisme, il n'y avait ni électricité ni gaz. À Ischy, à la veille du XXIe siècle, on vivait encore des métiers du Moyen Âge. Effectivement, ils travaillaient la terre, élevaient du bétail et utilisaient l'autoconsommation de leur production.
Ce village a vécu de cette manière durant des siècles, et il pouvait continuer à le faire encore.
Mais à partir des années 1970, pour fuir les persécutions, pour offrir un avenir et une vie meilleure à leur descendance, des villageois abandonnèrent leurs biens et s'installèrent à Istanbul. Là, ils ont dû travailler dur pour essayer de rebâtir tout ce qu'ils avaient perdu. En l'absence de l'agriculture, ils ont été dans l'obligation d'apprendre de nouveaux métiers et se sont principalement dirigés vers la couture et la restauration. Et leurs plus jeunes enfants ont pu aller à l'école. À une vraie école. Alors, ils vivaient maintenant sans la servitude, mais ils étaient toujours rejetés dans un milieu urbain où la discrimination religieuse était manifeste. Pour avoir le droit de penser et de s'exprimer, ils ont décidé un deuxième exode vers les pays occidentaux, avec l'espoir de pouvoir enfin assouvir cette profonde soif de liberté et aspirer à une vie vraiment meilleure. La première famille quitta donc Istanbul en 1979 pour venir s'installer en France. Les autres suivirent, et la dernière famille posa les pieds sur le sol français en 1987.
Durant l'émigration, il y eut une très forte solidarité entre les villageois. Une fois arrivés à Paris, chacun dut, comme à Istanbul, repartir de zéro pour rebâtir sa vie. Mais ici, un problème majeur se posa, et plus particulièrement pour les aînés : la langue. En effet, ne maîtrisant pas du tout la langue française, ils n'ont guère eu de choix concernant les métiers et se sont quasiment tous dirigés vers les métiers du textile. En revanche, les jeunes ont pu, grâce aux études, choisir un autre métier. On y trouve désormais des commerçants, des vendeurs, des électriciens, des plombiers, des garagistes, des restaurateurs, des secrétaires, des dirigeants, des comptables... D'ailleurs, le nombre de bacheliers ne cesse de doubler chaque année et les étudiants sont de plus en plus nombreux dans diverses branches : la gestion, le commerce, la comptabilité, les sciences, le droit...
Il est aisé de remarquer l'évolution des métiers pratiqués par les anciens habitants d'Ischy depuis quelques décennies. La facilité avec laquelle ces hommes et femmes s'adaptent au milieu social dans lequel ils vivent est remarquable. L'amitié, l'entraide, la cohésion sociale, l'harmonie et la foi qui existaient au village demeurent intactes. C'est sans doute ces éléments qui leur donnent la force et l'énergie qui les animent et les guident vers la réussite sociale. Il n'est jamais trop tard pour reconnaître leur mérite et leur courage.