Malgré l'absence des secteurs secondaire et tertiaire, il y avait au village un maire, un enseignant et des personnes qui s'occupaient de la santé des villageois. Mais ces derniers n'avaient aucun diplôme pour exercer ces métiers, à l'exception de l'enseignant. Ils accomplissaient ces tâches en parallèle avec leur travail de la terre.
En effet, une personne choisie parmi les villageois remplissait les fonctions de maire. Ce dernier s'occupait de l'état civil en déclarant les naissances, les mariages et les décès qui avaient lieu au village auprès de l'administration turque située en ville (à Uludere). Il recevait les militaires ou tout autre personnel officiel, et enfin, distribuait le courrier. Pour ces services rendus au village, il percevait un salaire mensuel qui lui permettait à peine de nourrir sa famille, d'où la nécessité de travailler la terre.
Cependant, l'enseignement se passait différemment. En effet, c'était une nouvelle activité dans le village puisque l'école n'existe que depuis 1964. D'ailleurs, "école" est un grand mot, car il n'y avait qu'une classe qui accueillait tous les enfants du village. Ils avaient donc un seul et même instituteur envoyé par l'administration turque. Simple constat : le seul métier au village faisant partie du secteur tertiaire n'était pas accompli par un villageois. Mais cela est tout à fait compréhensible puisque aucun d'entre eux n'avait eu la chance d'étudier. Cet enseignement primaire était sanctionné par un diplôme sans grande importance, puisque de toute façon, les enfants quittaient l'école vers l'âge de 10-12 ans pour aller travailler avec leurs parents. En effet, pour pouvoir faire autre chose, il leur aurait fallu poursuivre des études dans le secondaire, ce qui leur aurait été peut-être possible dans leurs rêves, mais certainement pas dans la réalité, car non seulement il n'y avait pas de collège proche, mais aussi, la contrainte financière pesait lourdement dans le choix des parents.
Le dentiste, ou plus exactement "l'arracheur de dents", puisqu'il n'avait aucune notion de soins dentaires, était une personne du village qui, pour tout soin, arrachait les dents sans aucune anesthésie, à l'aide d'une pince. Le médecin était inexistant également. C'est pourquoi les malades étaient soignés par les remèdes miracles des grand-mères. Et si celles-ci n'y parvenaient pas, c'est seulement à ce moment-là que le malade était transporté en ville. Le trajet durait une demi-journée et se faisait à cheval. Mais le transfert en ville était réservé aux cas les plus graves, et c'est pourquoi les accouchements se déroulaient au village. Comment se passaient-ils donc ? La femme enceinte, n'ayant reçu aucun soin durant sa grossesse, était assistée par des femmes âgées (les sages-femmes du village). Mais ces dernières ne possédaient aucune connaissance médicale, et le moindre problème durant l'accouchement pouvait entraîner la mort du nouveau-né, de la mère, voire des deux.